Hello hello. Voici la première édition de notre newsletter. On prend nos marques. On crash test des styles et les formats ne sont pas figés. Ca ne ressemble pas à grand chose, on dirait un blogpost croisé avec une newsletter mais yolo.
Avec un peu de chance ça tient la route. Et avec encore plus de chance ce qu’on y dit vous intéresse 🤞
3 sujets au programme : un questionnement sûrement trop long autour du goût à l’heure des algorithmes, une réflexion quant au concept de Marque et l’award de l’agence de l’année 2019.
🤖 Le bon goût des algorithmes 🤖
La question de la formation du Goût à l’heure des algorithmes est un sujet fascinant.
L’auteur Kyle Chayka y a notamment contribué avec son excellent article Style Is an Algorithm. Je vous invite à le lire !
Voici quelques bouts qui m’ont semblé intéressants avec quelques commentaires.
A partir d’un test de l’Amazon Echo Look, une caméra connectée qui donne des conseils et recommandations vestimentaires à son propriétaire, il explore comment les algorithmes et leurs principes peuvent influencer la formation du goût et les possibles limites. Il définit les algorithmes et leurs roles aujourd’hui de la manière suivante:
Tech companies promise us an ideal version of cultural consumption tailored to our personal desires. In fact, this promise is inherent in the technology itself: Algorithms, as I’ll loosely define them, are sets of equations that work through machine learning to customize the delivery of content to individuals, prioritizing what they think we want, and evolving over time based on what we engage with.
Et résume l’impact de la présence de ceux-ci dans notre environnement quotidien :
I realize that all of these algorithmic experiences are matters of taste: the question of what we like and why we like it, and what it means that taste is increasingly dictated by black-box robots like the camera on my shelf.
Si cette dernière question se pose c’est qu’il y a quelque chose de profondément humain dans notre appréciation des choses à travers la notion de goût.
Qu’il soit défini comme une capacité à distinguer la beauté et la vérité, ou comme quelque chose de plus hasardeux, que l’on ne calcule pas mais que l’on ressent, le goût est avant tout une inclinaison à la surprise inexplicable.
Ainsi, comment des algorithmes destinés à prédire, prioriser et optimiser pourraient être capables d’appréhender un phénomène tel que la surprise ?
Pour le designer Ben Pierrat, c’est là que se trouve la principale limite des algorithmes comme tastemakers. A travers l’exemple de la mode, il trace une séparation entre “style” et “goût” :
Style is a superficial aesthetic code that is relatively simple to replicate, whereas taste is a kind of wider aesthetic intelligence, able to connect and integrate disparate experiences. Algorithms can approximate the former — telling me I should wear a blue shirt — but can’t approximate the latter because the machine can’t tell me why it thinks I should wear a blue shirt or what the blue shirt might mean to me. When a machine has taken over the exploration of taste, the possibility of suddenly feeling something from a surprising object is narrowed to only what the machine decides to expose. “I don’t think there’s such a thing as machine taste yet,” says Pieratt.
L’incapacité de la machine à éclairer un choix d’une signification intégrant l’aspect émotionnel et la surprise propre au goût personnel la rendrait ainsi inapte à remplacer l’interprétation humaine. Data driven vs Data informed, tout ça tout ça.
Cependant l’influence des algorithmes et des plateformes aujourd’hui est indéniable. Pour qualifier la production de styles et d’esthétiques dénués de touche humaine par ces algos, l’auteur parle de Generic Style.
Every platform, canvassed by an algorithm that prioritizes some content over other content based on predicted engagement, develops a Generic Style that is optimized for the platform’s specific structure. This Generic Style evolves over time based on updates in the platform and in the incentives of the algorithm for users.
De quoi parle-t-on quand on parle de Generic Style ? D’un style uniformisé constitué d’artéfacts culturels manufacturés pour répondre à la demande et l’offre générée par les algorithmes. De cafés au design minimaliste, d’avocado toast, de playlists à thèmes usinées, des petits cactus que l’on met partout, de l’esthétique AirBnBesque des appartements, des séries débattues à la pause café, des bouts d’univers K-pop disséminés là et là ou encore d’un nouvel idéal de visage cyborgesque.
Ce style générique est en quelque sorte la production culturelle issue de l’adaptation à un système culturel global piloté par les algorithmes de nos services préférés.
Un des exemples les plus probants est la musique. Spotify et consorts ont entamé un sacré chantier dans l’industrie musicale. Dans un autre essai du même auteur sur l’évolution du concept de Monoculture, il interview la professeure Jada Watson qui dresse le portrait suivant des backstages de la production musicale :
“Now that everything’s digital, we have data every minute of every hour of every day,” Watson said. “In the past it was very manual, reported over phone or paper — that’s really slow.” On the broadcaster side, the data motivate snap business judgments: “If a particular style is really driving ratings of your service up, whether radio or streaming, you’ll want to continue to play that kind of artist, based on fear of loss of ratings.” On the label side, the data create an excuse for homogenization. “If artist X is doing really well with a particular style, or a particular production value, then a label might do the same thing with artist Y”.
L’industrie musicale et Spotify est l’exemple d’un système plutôt direct où les plateformes de streaming ou de commerce (Amazon Echo Look, Netflix, Amazon, Etsy, etc) et leurs mécaniques d’optimisation et de recommendation impactent principalement les producteurs et distributeurs.
Par extension, on pourrait imaginer une chaîne de vie d’un Generic Style basée sur une suite d’algorithmes directs (qui détermineront la production via l’optimisation et la prédiction) et indirects (qui guideront la consommation à travers l’organisation nos feeds et les mécaniques de recommandation). On est sûrement déjà un peu dedans.
Cette partie sur l’industrie musicale m’a rappelé un article lu chez Yard annonçant la fin d’un cycle dans le rap français. Y est dénoncé les mécaniques et les enjeux derrière l’uniformisation du rap à travers 5 styles que l’industrie ne fait que répliquer depuis 2015. Si tout ce qui est dit est certainement juste, j’y trouve une limite dû à un prisme “marché du streaming” trop global. Tous les algorithmes ne sont pas les mêmes. Si Spotify et Soundcloud sont deux acteurs de ce marché, leurs fonctionnements et rôles dans l’univers culturel musical sont assez différents. Sur Spotify je m’ennuie. Je me fais bercer passivement par des playlists sur-usinées composées de projets sur-usinés d’artistes sur-usinés et les mécaniques de recommandation me font rarement faire des grands-écarts auditifs. Jai rarement été surpris. On est en plein dans ce que dénonce l’article de Yard et la production de Generic Style par les algos de Kyle Chayka : un échec dans la cultivation d’un goût personnel capable de nous toucher.
Le même média, Yard, a interviewé l’année dernière Retro-X qui distinguait lui aussi les deux plateformes du point de vue d’un artiste :
Et l’univers SoundCloud, c’est toujours un état d’esprit qui te parle aujourd’hui, ou c’est un peu du vent ?
Je pense que c’est loin d’être du vent. Les gens qui font du son devraient prendre en considération SoundCloud. Ça te permet de toucher plus de frontières, ça va loin. C’est un autre réseau dans lequel il faut aller, c’est plus libre. Tout le monde peut sortir son son même s’il est moins bien mixé, on va t’écouter. Ailleurs, tout doit être 2.0, tout est un peu plus policé. SoundCloud, c’est une bonne maquette, une bonne plateforme pour tester et sortir ce que t’as envie de sortir.
On distingue un contraste entre deux dynamiques. (C’est bientôt fini, promis).
D’un côté ; la promesse de produits et services algorithmés distributeurs de culture dont les résultats seraient élaborés pour nous ressembler et affinés pour correspondre à ce que nous choisirions nous-même. Produits qui ne remplissent, pour l’instant, qu’une partie du contrat :
The current reality is that these feeds silo you in homogenizing platforms, calculating the best-fitting average identity.
It takes fine pictures, but like a mirror, it mostly shows me what I already know. And the device is trying to match me to some universalized average, not my individual style, whatever that might be. It doesn’t know me at all — it can’t tell what kind of clothes I’m comfortable in nor how the clothes I wear will function as symbols outside, in the place I live, in the contexts of class or gender.
This is the kind of social, aesthetic intelligence, the sense of taste, that our algorithms are missing, for now at least.
Se soumettre aux grandes plateformes comme uniques tastemarkers, c’est risquer de se complaire, consciemment ou non, dans un goût formé par un assemblage de styles génériques agencés pour nos feeds.
De l’autre coté, les amis, il y a l’effort. La passion, la vraie. Le goût de la recherche du goût. La prise de temps et la prise de risque. Reliquat d’une époque où il n’existait ni algo optimisé, ni feeds intelligents. D’une époque correspondant à la première partie de nos vies de millenniolz, que ce cher Kyle raconte ici :
The primary ways I discovered new things were through forums, where members suggested which shoes to buy or bands to listen to, and through digital piracy, which gave me a relatively unfiltered list of possible cultural artifacts to consume on Kazaa or BitTorrent, which did not come with “You May Also Like This” recommendations. (I did not live in a city and the local comprehensive bookstore was a Borders 45 minutes away.) These services were the digital equivalent of used vinyl shops: You take what you find, either you like it or not, and then you try again, constantly refining an image of what you want and (thus) who you are.
Since those were formative teenage years, I derived a good part of my identity as a cultural consumer from DIY piracy. Still, the results were neither exceptional nor original. I downloaded a lot of Dave Matthews Band concert bootlegs and sought out American Apparel in the mall after seeing it online. But at least these things felt like mine? Or at least the assemblage aggregated into something I might have called personal taste.
Une vision de la création du goût de plus en plus difficile à concilier avec les tendances actuelles, que ce soit le culte de la productivité ou le partage frénétique de micro événements.
Comment trouver la surprise dans un monde culturellement algorithmé ?
Comment accepter l’importance de la prise de temps, de l’exploration et la difficulté quand il y a la tentation de solutions simplifiées et gratifiantes ? (cette dernière question qui me rappelle cet excellent essai sur la tyrannie de la commodité).
L’envie boomerisante de dire que c’était mieux avant n’est pas loin camarades, faisons attention. Mais si je suis curieux à l’idée de voir l’évolution de la formation du goût personnel chez les générations les plus récentes et le role joué par ces plateformes, je ne m’en fais pas pour eux. Ceux qui veulent creuser, creusent. Ceux qui ont besoin d’être surpris chercherons à dériver. Et à ceux qui en demandent parfois moins, comme moi, d’avoir conscience que les playlists Spotify, les avocados toasts et la moitié des séries Netflix sont dans nos feeds pour la valeur de notre engagement plus que pour notre amour du goût.
Instead of worrying about the loss of monoculture, I’m more concerned that there isn’t enough room for products or projects (or even places) that are not memes, that aren’t pre-optimized for sharing or scaling. In the end I fall more on Scorsese’s side of the argument, though I wouldn’t wish for any more Scorsese: The non-homogenized alternatives to the mainstream become harder and harder to find. As we grow more accustomed to the algorithmic monoculture, allowing it to occupy our senses, we might lose our understanding of, or our taste for, anything else.
Fin.
📝 Brands, brands, brands 📝
(à lire comme boys boys boys de Sabrina)
Intéressant travail de Toby Shoring sur différentes manières d’appréhender le concept de Marque : 3 Cuts on Brands.
Au-delà de la définition à peu près commune de la marque comme ‘associations mentales vis-à-vis d’une entité’, Toby explore la notion marque sous trois prismes.
C’est une présentation d’une trentaine de minutes dont voici les très grandes lignes. Regarder la vidéo sera bien évidement plus complet et sûrement plus clair.
1. Brands are consensus systems: sets of meanings that are in a permanent process of unceasing evolution.
Chaque personne ayant une perception / représentation d’une entreprise en possède une partie de la marque.
Les marketeux ne sont plus les seuls façonniers des marques (touchpoints & artefacts ‘officiels’ et ‘non-officiels’).
Une marque est en production permanente : la notion de branding devrait être un process plutôt qu’un verbe.
Plusieurs marques peuvent exister en même temps pour une même entreprise ou un même produit.
Tout ça à cause d’internet qui a tout cassé. Historiquement la production d’une marque (et donc sa perception) était limitée. Il était plus simple d’avoir un consensus autour d’une marque. L’ouverture à la création de touchpoints & artefacts officieux a donné lieu à la formation possible de dissensus et donc de beaucoup plus de perceptions et de représentations.
C’est l’overlap d’interprétations d’une même entité qui crée un consensus, une cohérence, qui donne naissance à une essence commune qui sera une marque.
2. Brands are a site of conflict between the centralized meanings of a company and the distributed meanings of the public.
Le process de production d’une marque est donc un théâtre de conflits permanents, un cycle de conflits.
Les marques sont le résultat de conflits entre les intentions des entreprises et leurs touchpoints & artefacts officiels et la réalité de ce que les (potentiels) utilisateurs et consommateurs pensent, ressentent et imaginent.
Pour garder la main, deux grandes pratiques : le management réactif et le management proactif de ces conflits. Essayer de rattraper les wagons ou anticiper les prochains.
3. Brands are an interface through which any product is experienced.
Une des manières d’anticiper est de faire de ses cibles / utilisateurs / whatever ses alliés en s’alignant sur des valeurs communes et gagner leur confiance. D’où la tendance actuelle du marketing orienté sur les valeurs, le purpose / raison d’être, etc.
Pour se faire, une entreprise crée des touchpoints & artefacts qui s’intègrent aux systèmes de valeurs de ces gens en espérant être crédible et créer une marque associée à une partie de ce set de valeurs.
Un produit étant perçu puis vécu à travers sa marque, la marque devient une interface, un prisme entre l’audience et le produit et son expérience.
Si vous voulez en voir plus car cela vous a grandement intéressé ou si vous n’avez rien compris à mes bullet-points, je vous remets le lien ici.
🏆 Notre agence de l’année 2019 🏆
…
… n’en est plus une. Il s’agit de MSCHF. Le studio derrière la Nike Air Max 97 ‘Jesus Shoes’, la Times Newer Roman ou encore l’app de conseil en investissement basé sur votre signe astrologique Bull&Moon. Ils mixent ainsi avec brio la création de produits pensés pour le digital et les insights qui vont avec (ce manifesto pour un de leurs produits est d’ailleurs assez cool).
Depuis leur premier client (Casper), le studio a donc changé de formule. Après quelques side-projects à succès, ils ont choisi de cesser de collaborer avec des marques pour se concentrer sur leurs propres projets, drop par drop, à la Supreme.
Egalement raison pour laquelle leurs prises de parole se font plus rares depuis. On a essayé d’interviewer le fondateur mais ce dernier m’a fait part d’un besoin d’être plus nébuleux et moins transparent depuis qu’ils sont à leur compte, histoire de préserver un peu de mystère.
Cela dit, ce résumé de podcast et cette itw sur Campaign donnent un aperçu séduisant des coulisses. Bravo à eux 🥇
PS : Leur dernier projet est visible ici.
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